Journée d’étude — Avril 2014
Quel auteur pourrait un jour blesser le livre numérique ?
Programme de recherche :
Programmation visuelle
Porteur :
Dominique Cunin
Date :
mardi 15 avril 2014
Lieu :
Modérateur :
Gilles Rouffineau
Invité :
Andy STUHL,
Dominique CUNIN,
Brent NELSON,
Donato RICCI,
Éric GUICHARD
Image 1 :
Conférence de Donato RICCI, designer graphique, Projet AIME, Médialab
À l’occasion de la présentation du prototype « Écran-Mobile-Butor », réalisé à partir du livre Mobile de Michel Butor et conçu par cinq étudiantes et un enseignant, une journée d’étude, organisée par l’École supérieure d’art et design Grenoble-Valence est consacrée aux enjeux du design dans les glissements de l’imprimé vers l’écran.
Quel auteur pourrait un jour blesser le livre numérique ? La douleur associée à ce terme adopté par Roland Barthes pour défaire la réception critique virulente de Mobile de Michel Butor nous semble appartenir à un autre temps. « Ce que Mobile a blessé, c’est l’idée même du Livre » écrivait-il en 1962. Quel critique aurait recours à une telle métaphore pour doter le livre numérique d’un corps ou d’une psychologie ? Et pourtant, les arguments de la valorisation adoptée alors par Roland Barthes, pour faire l’éloge de cette étude qui représente les États-Unis, nous sont justement devenus familiers : discontinuité, fragmentation assumée, télescopage des données et agencements inédits. Au début des années 60, cet ouvrage imprimé anticipe les formes actuelles de nos lectures sur les supports numériques parce qu’il appartient déjà ― ou encore ― à l’âge de la cybernétique.
Engagés dans le tournant numérique, le livre et les pratiques de lecture et d’écriture sont aujourd’hui l’objet de multiples réflexions et expérimentations. Elles interrogent aussi bien l’économie ― en particulier celle de la distribution ― que les usages en mutation des lecteurs, le droit des auteurs, l’autorité des éditeurs ou la mobilité de tous ces rôles. Depuis les politiques publiques en passant par les confidences des utilisateurs, nous voyons, à travers le livre devenu écran, se redéfinir les formes de la connaissance produite par le texte. Quelles nouvelles aventures éditoriales découleront-elles de cette mutation : seront-elles mixtes, partagées ou nécessairement évolutives ? Dans les espaces de présentation et d’exposition, la muséologie s’empare également de ces glissements et nous permet à la fois de voir, d’entendre et de lire certains contenus disposés dans l’espace, mais aussi d’en consulter simultanément d’autres à travers des écrans mobiles. Avec ces écrans aujourd’hui profondément installés dans notre quotidien, serions-nous déjà portés à imaginer le devenir du texte après le livre numérique ? Risquons ici un renversement symétrique. N’est-ce pas le livre imprimé qui, dans sa lenteur, pourrait demain nous surprendre et blesser notre sensibilité, toujours plus à même d’engager des connections rapides et à intégrer la multiplication des enrichissements multimédias digressifs ?
Telles sont les questions qui seront abordées, lors de cette journée d’étude réunissant des chercheurs francophones et des acteurs nord-américain et canadien, à l’occasion de la présentation d’un prototype de dispositif de lecture active ayant recours aux écrans mobiles et à la réalité augmentée, dont le point de départ est justement Mobile, le livre de Michel Butor.
À l’occasion de la présentation du prototype « Écran-Mobile-Butor », réalisé à partir du livre Mobile de Michel Butor et conçu par cinq étudiantes et un enseignant, une journée d’étude, organisée par l’École supérieure d’art et design Grenoble-Valence est consacrée aux enjeux du design dans les glissements de l’imprimé vers l’écran. Ce projet est réalisé dans le cadre de l’unité de recherche « Il n’y a pas de savoirs sans transmission » de l’école.
Quel auteur pourrait un jour blesser le livre numérique ? La douleur associée à ce terme adopté par Roland Barthes pour défaire la réception critique virulente de Mobile de Michel Butor nous semble appartenir à un autre temps. « Ce que Mobile a blessé, c’est l’idée même du Livre » écrivait-il en 1962. Quel critique aurait recours à une telle métaphore pour doter le livre numérique d’un corps ou d’une psychologie ? Et pourtant, les arguments de la valorisation adoptée alors par Roland Barthes, pour faire l’éloge de cette étude qui représente les États-Unis, nous sont justement devenus familiers : discontinuité, fragmentation assumée, télescopage des données et agencements inédits. Au début des années 60, cet ouvrage imprimé anticipe les formes actuelles de nos lectures sur les supports numériques parce qu’il appartient déjà ― ou encore ― à l’âge de la cybernétique.
Engagés dans le tournant numérique, le livre et les pratiques de lecture et d’écriture sont aujourd’hui l’objet de multiples réflexions et expérimentations. Elles interrogent aussi bien l’économie ― en particulier celle de la distribution ― que les usages en mutation des lecteurs, le droit des auteurs, l’autorité des éditeurs ou la mobilité de tous ces rôles. Depuis les politiques publiques en passant par les confidences des utilisateurs, nous voyons, à travers le livre devenu écran, se redéfinir les formes de la connaissance produite par le texte. Quelles nouvelles aventures éditoriales découleront-elles de cette mutation : seront-elles mixtes, partagées ou nécessairement évolutives ? Dans les espaces de présentation et d’exposition, la muséologie s’empare également de ces glissements et nous permet à la fois de voir, d’entendre et de lire certains contenus disposés dans l’espace, mais aussi d’en consulter simultanément d’autres à travers des écrans mobiles. Avec ces écrans aujourd’hui profondément installés dans notre quotidien, serions-nous déjà portés à imaginer le devenir du texte après le livre numérique ? Risquons ici un renversement symétrique. N’est-ce pas le livre imprimé qui, dans sa lenteur, pourrait demain nous surprendre et blesser notre sensibilité, toujours plus à même d’engager des connections rapides et à intégrer la multiplication des enrichissements multimédias digressifs ?
Telles sont les questions qui seront abordées, lors de cette journée d’étude réunissant des chercheurs francophones et des acteurs nord-américain et canadien, à l’occasion de la présentation d’un prototype de dispositif de lecture active ayant recours aux écrans mobiles et à la réalité augmentée, dont le point de départ est justement Mobile, le livre de Michel Butor.
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PROGRAMME
10h00 – 10h40
Andy STUHL, designer-programmeur, États Unis,
La typographie dans l’espace par Small Design Firm.
Les réalisations de David Small et de son studio de design à Boston prennent essentiellement la forme d’installations et d’expositions permanentes destinées à afficher des informations textuelles sous forme typographique. En portant une attention particulière à la manière dont l’espace du livre incorpore des histoires tissées d’informations, cette présentation sera l’occasion de revisiter le travail de l’entreprise Small Design, depuis la thèse de D. Small dans le contexte du Visual Language Workshop au MIT, jusqu’aux projets en cours en passant par le Talmud Project ou l’installation au Nobel Peace Center à Oslo par exemple. Actuellement, les projets de la société concernent les interactions entre les espaces (réels et virtuels) et des corpus de données qui évoluent et croissent en temps réel. Certains projets, en particulier dans le domaine du traitement de l’information à partir de données médicales, interprètent des enregistrements sous forme dynamique dont la restitution dans l’écosystème numérique permet de comprendre le statut et l’avenir du livre.
10h50 – 11h30
Dominique CUNIN, enseignant-chercheur
Écrans mobiles et pratiques artistiques – la réalité augmentée en question.
L’expression réalité augmentée suggère l’ajout, par l’intermédiaire d’un dispositif, d’une couche d’éléments artificiels à l’environnement que nous percevons naturellement. Mais est-il véritablement question d’une augmentation ? Cette terminologie s’adapte peut-être bien aux principes techniques déployés, qui reposent essentiellement sur une détection optique de marqueurs de toutes sortes intégrés à l’environnement (lorsqu’il ne s’agit pas de l’environnement lui-même). À l’heure où les écrans mobiles (smartphone et tablette) se sont imposés et banalisés comme supports de consultation et ont fortement ravivé les technologies de la réalité augmentée, il nous apparaît que le seul terme d’augmentation ne peut suffire à qualifier les modalités de mise en relation avec des médias variés que ces technologies peuvent façonner. Dominique Cunin proposera de tester le dispositif Écran-Mobile-Butor, une occasion parmi d’autres d’une réflexion sur les enjeux actuels de la réalité augmentée et de ses possibles redéfinitions.
11h40 – 12h20
Présentation du prototype muséologique Écrans/Mobile/Butor (centre de documentation) par Dominique Cunin et Margot Baran, Jordane Cals, Lorène Ceccon, Éléonore Jasseny, Alice Jauneau, étudiantes en 5e année « design graphique » de l’Ésad Grenoble-Valence.
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Discussion et moment d’expérimentation libre.
14h00 – 14h 40
Brent NELSON, chercheur, Canada,
La conception de nouveaux environnement de lecture s’inscrit dans l’histoire.
Il faut comprendre l’histoire du livre pour envisager son devenir dans le contexte numérique, tel sera l’argument de cette présentation. Cette histoire, et l’histoire plus récente des livres numériques qui la prolonge, nous montrent à l’évidence que le design de nouveaux espaces de lecture ne doit être dépendant des enjeux économiques, mais doit plutôt être porté par des lecteurs très sérieusement investis. Je commencerai par une brève histoire et un aperçu du cadre théorique du développement de nouveaux contextes de lecture et terminerai pour conclure et ouvrir la discussion par un exemple de conception qui prend sa source dans l’histoire : la table des matières dynamique.
14h50 – 15h 30
Donato RICCI designer, France,
Le projet AIME et ses implications en design pour les humanités numériques.
Le champ des humanités numériques embrasse un ensemble très vaste d’expérimentations destinées à rendre tangibles des tâches qui étaient jusqu’alors considérées comme strictement spéculatives et de nature cognitive : penser, lire, commenter. L’expansion des technologies numériques a contraint les chercheurs et universitaires à questionner et reformuler ces tâches. Dans le domaine des humanités et des sciences sociales, la lecture et l’écriture supposent toujours une interaction avec un contenu profondément situé dans un contexte, qu’il soit culturel (transmis par l’intermédiaire de livres, de données ou d’autres types de documents), social (par des contributions). Aujourd’hui, les technologies numériques nous permettent de matérialiser cette richesse contextuelle à l’oeuvre dans les processus intellectuels de lecture et d’écriture des humanités. Dans ce cadre, le projet AIME occupe une place d’expérimentation particulièrement innovante qui consiste à passer d’une simple support de communication à un espace de débat destiné à l’enquête. L’objectif est de permettre à des lecteurs de devenir co-enquêteurs grâce à de nouvelles modalités de production et de partage des arguments compatibles avec une publication scientifique.
15h 35 – 15h 55
Pause
16h00 – 16h 40
Éric GUICHARD, chercheur, maître de conférence à l’Enssib-Villeurbanne,
Du livre à la pensée instrumentée : mathématiciens et artistes face au numérique.
Les formes contemporaines de l’écriture (binaire et en réseau) sont une conséquence de travaux, découvertes et pratiques mathématiques, lentement déployés depuis des siècles. Et c’est peut-être ce qui désarçonne certains spécialistes des sciences sociales et humaines, dont les techniques de l’intellect sont à la fois héritières de l’imprimé et (paradoxalement ?) peu friandes d’écriture spatialisée. Aujourd’hui, les personnes à l’aise avec l’écriture numérique admettent les liens entre technique et pensée, et interrogent la pertinence de l’opposition entre objet et sujet. Signe d’une proximité inattendue entre artistes et scientifiques, d’un rapport au monde partagé depuis longtemps ?