Introduction

Unité de recherche
option :
design graphique

École supérieure d’art et design Grenoble-Valence

2013 – 2017

Analyser l’action du design graphique dans la production et la transmission des savoirs à l’ère de la culture numérique.

 

Nourrir ces recherches avec les questions posées par les Humanités numériques.

 

Élaborer des hypothèses mises en pratique par le design et une pratique du design qui se théorise.

 

Plan du texte :

I — Production des savoirs

II — Diffusion des savoirs

III — Programme de recherche

Il n’y a pas de savoir sans médiatisation, sans organisation, structuration, sans analyse des médias et des contextes d’appropriation. Et si la médiatisation peut a priori se passer de design, le design néanmoins constitue une compétence qui peut, non seulement améliorer les conditions de la réception des savoirs, mais également agir sur la constitution même de ces savoirs. En ce sens, les choix opérés dans la conception du design d’un projet de médiation de savoir, constituent une syntaxe unissant les formes, le contenu et le média dans un même projet : la transmission.

Dans le cadre de cette unité, nous tenons à distinguer la transmission de la communication. Elles ne portent pas les mêmes enjeux. Schématiquement, la transmission s’inscrirait dans la durée et la communication dans l’événement ; la première intègrerait la lenteur, la deuxième la vitesse. Bien sûr, ce découpage est sommaire, sans doute discutable et comporte une part d’arbitraire. La transmission peut avoir besoin de communication, et probablement la communication agit-elle dans la formation d’une culture et d’un imaginaire communs. Cependant, ce qui nous intéresse ici, est une conception du design graphique non pas en tant que pratique d’annonce et de diffusion d’informations ponctuelles, mais un design graphique agissant sur les structures mêmes de la constitution des savoirs et de leur transmission.

I — Production des savoirs
Les chercheurs témoignent 1 que l’élaboration d’un texte de programmation informatique même simple, permet de créer les conditions de découvertes de nouveaux éléments de réflexion, notamment dans les sciences humaines et sociales. La conception d’interfaces ou de dispositifs complexes peut agir sur la structure des récits scientifiques, voire les orienter. Un exemple marquant serait celui des bases de données réunissant un nombre considérable d’informations qu’un seul chercheur ne pourrait maîtriser, et dont les paramètres de choix, de tri, de liens qui en définissent la structure constituent bien plus qu’un outil, mais engagent un type de récit, une interprétation.

Le niveau de complexité induit par la quantité de données à la base de la constitution des savoirs et de la conception de leur médiatisation et de leur transmission, la prise en compte des logiciels comme de la pensée dont il faut tenir compte, sont quelques uns des facteurs qui supposent que soit reconsidérée la notion de « fonction » historiquement assignée au design graphique. Contrairement à l’assimilation qu’en fit une tendance critique de la modernité, la fonction n’est pas synonyme du fonctionnalisme. Il y a d’une part la « franchise 2 » des objets et la relation que les individus et les collectifs entretiennent avec eux, et d’autre part un discours qui, sous la pression de l’histoire, s’érigea en un dogme coupé de ses racines intellectuelles. Réinvestir la notion de « fonction » invite à réinterroger les modalités à mettre en oeuvre par le design graphique pour offrir des expériences esthétiques. « Esthétique » : ce terme, ici, doit être compris non pas comme un jugement normatif dontles critères seraient fixés par l' »esthétique », la discipline et son discours, mais comme une expérience, une découverte, et pourquoi pas, un mode de réenchantement.

Dans le champ des humanités numériques déterminées par l’interrogation de l’action de la technologie sur la construction des savoirs, le design graphique trouve sa place comme un acteur entre les chercheurs, l’outil, le média. Il intervient également pour analyser les conditions de médiatisation et de transmission des savoirs et se situe alors entre les chercheurs, le média et le lecteur. Cette place que le design graphique doit se définir est l’opportunité de se réapproprier son histoire et sa relation aux savoirs. Elle est l’occasion qui lui est offerte de développer également l’exploration critique des conditions de son action dans le contexte de l’économie de la connaissance en milieu numérique.

1 — Pierre Mounier, (dir.), Read/Write Book 2. Une Introduction aux humanités numériques, OpenEdition Press, Marseille, 2012.
2 — Pierre-Damien Huyghe, entretien avec Emmanuel Tibloux, « Design, moeurs et morale », Azimuts, n°30, 2008, p.39.

II — Diffusion des savoirs
La notion de « transmission » ne doit pas être comprise comme la reproduction à l’identique de savoir-faire ou comme un intérêt pour une approche patrimoniale nostalgique ou comme une volonté de conservation au-delà des enjeux de notre présent. Transmettre, ici, signifierait plutôt agir de sorte que les individus puissent accéder aux sources de ce qui fonde notre environnement numérique — les programmes des logiciels — et par là même de reconsidérer divers modes d’accès au langage ; c’est concevoir des dispositifs dont la justesse permettrait d’éviter la spectacularisation des savoirs, de la culture et des arts — leur « disneylandisation » — ; c’est tenter d’inventer des dispositifs qui traduisent en les interrogeant nos relations à l’histoire. En d’autres termes : explorer les voies qui permettraient d’échapper à l’instrumentalisation du design par la logique économique fondée sur la capitalisation des biens immatériels et par l’industrie culturelle et touristique.

Le design graphique doit considérer le détachement des savoirs, de la culture d’une pensée qui les définissait comme les outils d’une émancipation sociale et intellectuelle, individuelle et collective. Ce détachement s’opère au profit d’une autre conception qui tend à les assimiler à des « objets » monnayables que l’on acquiert. C’est en cela que le rôle actuel du design graphique est profondément différent de ce qu’il fut dans sa période historique de structuration (années 1920-30). Mais c’est aussi cela que le design graphique doit interroger. Et cette interrogation fait écho à la question que pose Vilém Flusser 3 : «  Quelle forme dois-je donner à ces projets pour que ceux qui viendront après moi puissent les utiliser aux fins de leur propre progression et soient aussi peu gênés que possible dans celle-ci ?  »

Le design graphique doit chercher les voies nouvelles qui lui permettraient non pas de fuir les contraintes économiques mais bien de s’y inscrire en inventant, dans le même temps, les syntaxes formelles et les dispositifs adaptés aux sensibilités et à la rationalité actuelles ; des inventions à l’écoute du dialogue entre collectif et individus, entre histoire et présent, entre culture du livre et culture numérique. En d’autres termes : une pensée de la relation.

3 — Vilém Flusser, Petite Philosophie du design, Circé, 2012, p.34.

III — Programmes de recherche :
     — Programmation visuelle
     — Anthologie raisonnée de textes historiques
     — Archéologie de l’édition numérique
     — Représentation du temps